Jacques Gamblin

« J’ai appris mon métier en mouillant la chemise »

Par Sandrine Blanchard,
Le Monde, 12/09/2022

« Je ne serais pas arrivé là si… » Chaque semaine, « Le Monde » interroge une personnalité sur un moment décisif de sa vie. Le comédien évoque les rencontres chanceuses de son parcours d’autodidacte.

Comédien, auteur de théâtre, écrivain, Jacques Gamblin, 64 ans, déploie son élégance, sa sensibilité et son univers poétique sur les planches depuis plus de quarante ans. Au cinéma, la comédie Pédale douce l’a fait connaître du grand public en 1995. Depuis, cet acteur qui s’est formé hors des circuits officiels a notamment tourné avec Claude Lelouch, Jean Becker, Claude Chabrol, Bertrand Tavernier ou encore Rémi Bezançon. En cette rentrée, il retrouve la scène du Théâtre du Rond-Point, à Paris, pour jouer le personnage d’Elwood dans Harvey de Mary Chase, rôle pour lequel il a reçu en mai le Molière du comédien dans un spectacle de théâtre public. Il est aussi à l’affiche du film Le Tigre et le Président, de Jean-Marc Peyrefitte, dans lequel il incarne l’éphémère président de la République Paul Deschanel.

Je ne serais pas arrivé là si…

… Si on ne m’avait pas offert l’énergie en cadeau. Elle est en moi, elle m’est constitutive. C’est ma plus belle chance. Vraiment, cette énergie est fondamentale.

Qui vous l’a offerte ?

Je n’en sais rien. Pas Dieu, je n’y crois pas. J’imagine les chromosomes de ma mère et de mon père. Chez mes parents, le mot « fatigué » était interdit parce qu’eux-mêmes ne le prononçaient jamais.

Que vous a permis cette énergie ?

De tenter des choses, d’être curieux, d’aller à l’aventure, de rebondir quand ça ne se passe pas bien. L’énergie, c’est fondateur pour tout. Ce n’est pas abstrait. Gamin, j’étais un enfant du dehors, je n’avais pas d’énergie pour lire des livres. En revanche, le sport a très été important dans ma vie et l’est toujours. Je ne serais pas arrivé là si je n’avais pas goûté à la transpiration abondante, à l’effort musculaire, aux sensations que procure le sport quand c’est dur, quand vous allez au bout de vos capacités. J’ai grandi à une époque où la course à pied n’était pas à la mode. Je me cachais de mes potes pour aller m’entraîner. Cette échappée en solitaire, mon corps ne l’a pas oubliée. Le sport m’a apporté une capacité de concentration, de travail. Il m’a aussi amené vers la danse, à utiliser tout mon corps pour jouer et à ne pas considérer qu’on est dans un monde binaire, où il y aurait les intellos d’un côté et les manuels de l’autre. Ce qui m’intéresse, c’est la tête et les jambes, ça offre un champ de possibilités immense.
Mais à votre question « Je ne serais pas arrivé là si », il existe une gamme de si. Notamment les rencontres, les risques qu’on prend. Je ne serais pas arrivé là si je n’avais pas dit oui à certaines personnes.

Quel a été le premier oui qui a compté ?

J’ai dit deux fois oui à Hubert Lenoir. J’avais 18 ans, le bac et le BAFA pour seuls diplômes. A l’époque, ce metteur en scène dirigeait une jeune compagnie professionnelle, le Théâtre du Totem, à Saint-Brieuc. A la suite d’un stage de théâtre qu’il animait et auquel j’avais participé pendant des vacances, il m’a dit : « Que fais-tu en septembre ? Si tu veux, viens avec nous. » Je lui ai dit oui une première fois. Je partais dans un monde dont j’ignorais tout et sur lequel je n’avais aucun rêve, aucun désir particulier. J’étais seulement guidé par la curiosité, par la découverte d’un nouvel univers. Je n’avais pas d’histoire particulière avec le théâtre. Quand j’ai commencé au Totem, je n’avais vu que deux pièces en sortie scolaire avec le lycée, au Théâtre de Coutances, à trente kilomètres de Granville. Mais déjà, je ne me mettais pas au fond de la salle pour déconner avec les potes. Je m’installais devant, seul, pour être concentré sur ce que j’allais voir.

Hubert Lenoir m’a d’abord proposé de m’apprendre la technique pour remplacer son régisseur. Puis il a fait naître en moi – à force de regarder les comédiens – le désir de jouer. Surtout il m’a dit : « D’accord, essaie. » Ainsi, pendant deux ans, j’ai été technicien puis comédien. Ensuite, j’ai arrêté cette aventure, improbable pour moi, pour me former à un métier « normal », la menuiserie. J’avais envie d’apprendre avec mes mains. J’ai suivi une formation, mais je l’ai écourtée parce que, huit mois plus tard, Hubert Lenoir m’a rappelé pour me proposer un casting. J’ai décidé d’y retourner. Au fond, cette histoire c’est comme un miracle. Et il faut savoir dire merci. Ce que j’ai fait.

Que vous a appris Hubert Lenoir ?

Hubert Lenoir organisait beaucoup de stages, repérait et formait des gens. Il voyait naître des passions. C’est un découvreur. En me demandant d’éclairer et de sonoriser les comédiens, il m’a appris à les observer puis à faire mes premiers pas sur scène. Mon tout premier rôle, c’était au festival « off » d’Avignon en 1978, dans La Ballade de Billy Peau d’Argile, un montage de textes. Il n’y avait personne dans la salle. On n’a pas joué. En rentrant, je conduisais le camion, une voiture nous a coupé la route et on s’est tous retrouvés à l’hosto. C’était l’épopée de la première qui n’a jamais existé sauf à l’hôpital, en observation !

J’ai appris mon métier en faisant les choses, en mouillant la chemise en direct avec un public et, peu à peu, avec tous ces regards dans le noir, j’ai attrapé une conscience d’acteur. Comme au cinéma, j’ai appris en regardant des rushs et en faisant mon autocritique. Quand on ne fait pas d’école, c’est la vie et l’expérience qui font office d’école.

Comment parvenez-vous à intégrer le Centre dramatique national de Caen à 25 ans ?

Je jouais dans Le Cid, monté par Pierre Debauche et scénographié par Bill Underdown. Ce scénographe me voit, me repère et en parle à la Comédie de Caen. Lorsque Claude Yersin cherche un acteur pour jouer dans L’Etang gris, de Daniel Besnehard, à Caen, il vient me voir. Dans Le Cid, je faisais un clown bouffon, un rôle muet. Je traversais le plateau en observant tout le monde. Et Claude Yersin me propose un rôle dans L’Etang gris, une pièce naturaliste sur les années d’Occupation dans une boulangerie. Il avait vu une sorte de clown, de simplet, et l’engage pour tout autre chose. Je lui dois beaucoup d’avoir pris un mec comme moi. Il y a sur terre des gens qui peuvent imaginer autre chose que ce qu’ils voient. J’ai toujours eu une immense admiration pour les gens comme lui qui nous déplacent, qui ne nous mettent pas dans un couloir. Je dis merci, encore merci. Des exemples comme celui-là, il y en a d’autres. Comme Shohei Imamura qui m’engage pour faire un soldat dans Docteur Akagi, en 1998, après avoir vu Pédale douce. Ces gens-là sont des anges.

Vos parents tenaient une quincaillerie à Granville (Manche). Quel regard portaient-ils sur vos premiers pas dans l’univers du théâtre ? Vous soutenaient-ils ?

C’était wait and see. L’important pour eux était de voir que je n’étais pas malheureux. Ils ne m’ont pas retenu à la quincaillerie sur le thème « il y a cinq générations derrière toi, ce serait bien que tu fasses la sixième et que tu tiennes la boutique ». Je ne leur demandais jamais un kopeck, jamais. J’étais indépendant. Ils ont eu l’intelligence d’être curieux plutôt que de se dire « on ne comprend rien à son affaire ». Je les ai toujours conviés à mes spectacles et ils venaient toujours voir ce que faisait le fiston, pour continuer de parler, de partager, malgré les mondes assez opposés dans lesquels chacun de nous était.

Quel rapport entreteniez-vous avec l’école ?

Un rapport de merde !

A ce point-là ! Pourquoi ? A cause de l’ennui ?

Je crois que j’aurais préféré m’ennuyer ! Rien ne m’intéressait à part le sport, le dessin et une sortie sur la plage pour ramasser des algues, les étaler sur une feuille Canson blanche afin qu’elles sèchent. A cet exercice, j’ai eu 20/20. Cette professeure avait eu l’intelligence de sortir notre cul de la classe pour nous montrer des vraies choses de la vie, ailleurs que dans les bouquins. J’ai un rapport à l’école extrêmement rebelle, je suis dans une incompréhension totale de la façon d’enseigner. Je n’en veux pas aux enseignants, je ne les mets pas tous dans le même sac. C’est quand même beaucoup beaucoup d’années et beaucoup beaucoup d’heures… Comment est-ce possible qu’apprendre soit si chiant alors que c’est ce qu’il y a de plus merveilleux ?

Ce ne sont pas que les bonnes choses qui vous amènent là où vous êtes. L’école, par exemple, tel que l’enseignement est fait, m’a appris à être rebelle, à être contre, m’a permis de m’engager autrement et de dire basta ! à 18 ans. Le bac, qui ne me servira à rien, je l’ai. Je ferai n’importe quoi, tout ce qui se présente, mais j’arrête d’écouter des profs toute la journée qui me saturent les tympans. Je n’ai pas une capacité naturelle à emmagasiner autant de paroles et d’écrits et de m’en souvenir. Encore aujourd’hui, je n’ai pas cette capacité. Je suis toujours passé de justesse d’une classe à l’autre et je m’y suis repris à deux fois pour avoir ce putain de bac. Ce n’est pas très glorieux. Par un drôle de hasard, quand on interroge pas mal d’artistes, on trouve souvent un gros problème avec l’école. Finalement, l’école est peut-être une des plus grandes pourvoyeuses de gens qui ont un imaginaire débridé parce qu’ils ont dû se positionner ailleurs, contre. Ils ont rêvé par la fenêtre. J’ai eu la chance de naître au bord de la mer. C’est très important, l’imaginaire que cela m’a offert. Mais Granville, c’était aussi la campagne, la terre, le concret.

Et la quincaillerie de vos parents…

Quand je pense à mon enfance, je ne serais pas arrivé là sans cette boutique insensée avec ce stock à n’en plus finir et sans les grandes étendues marines qui calment l’esprit. Outillage, électroménager, la marchandise débordait de partout dans la quincaillerie. A la maison, mes parents testaient toutes les nouveautés pour les vendre le mieux possible. J’ai baigné là-dedans, cela aussi développe un imaginaire. Tous ces objets, plus ou moins utiles et rapidement obsolètes, offraient un champ d’observation extraordinaire et ont affûté une certaine conscience sur le problème de la surconsommation.

Ecriture, création de spectacles, seul en scène, vous semblez n’avoir jamais attendu que le téléphone sonne…

Non parce que… en fait, je ne peux pas ! C’est vrai que je fais beaucoup de choses. Je ne serais pas arrivé là si j’avais voulu remplir des cases, si j’avais eu peur du vide, si je n’avais pas décidé d’écrire, d’être chef de ma petite entreprise qui construit, conçoit des spectacles, réunit des gens et part sur les routes. Je me considère comme un artisan. Ce qui sort de l’atelier, c’est un spectacle. Quant à l’écriture, lorsqu’elle vous tombe dessus, elle devient très importante.

Comment vous tombe-t-elle dessus ?

J’ai plein de façons d’écrire mais mon premier livre est parti de l’oral. Le point de départ a été de s’enregistrer seul au magnétophone, de raconter beaucoup de conneries puis de les réécouter un an et demi plus tard et de constater que cet instinct-là, cette improvisation orale enregistrée valait le coup de s’y attarder. Ainsi est né Quincailleries. Depuis, l’écriture m’est devenue totalement indispensable.

Sur scène, vous incarnez régulièrement des personnages qui ont une innocence, une drôlerie, qui semblent avoir fait un pas de côté face au monde…

On ne peut pas, en permanence, vingt-quatre heures sur vingt-quatre, être triste, sidéré, abruti ou sérieux par tout ce qu’on voit de mortifère et de tragique dans le monde si on n’a pas quelques portes de sortie que chacun doit, comme il peut, se construire. L’art c’est aussi quelque chose qui soulage, allège. Cette petite porte entrouverte vers la poésie qui nourrit des personnages me ravit. Parce que c’est indomptable, c’est une plume, ça permet de s’échapper, tout n’est pas normalisé, cartésien dans ces personnages. Ils ont des mondes à eux, une douce folie, une fantaisie. Je les aime. Les situations absurdes qui sortent du cadre me régénèrent. L’absurde fait partie de nos vies.

En 2015, la Maison des écrivains et de la littérature commandait à trente écrivains un discours sur le changement climatique. Votre texte, « Mon climat », a rencontré un beau succès lors de sa diffusion sur Internet. Vous disiez, notamment, avoir parfois une « boule au fond du ventre » mais que vous gardiez « un idéalisme chevillé au corps ». Vous les avez toujours ?

Cette intervention a été filmée au Lieu Unique à Nantes lors d’une rencontre poésie-écologie. D’un seul coup, elle s’est barrée sur le Web. Au départ, ce n’était pas un format pour les réseaux sociaux. Cela m’a dépassé et, finalement, j’étais content que cela me dépasse car les gens ont répondu à ce texte.

La boule au ventre, je ne suis pas contre la perdre. Quant à l’idéalisme chevillé au corps, on n’a pas le choix. Le seul espoir qu’on peut avoir est de prendre à bras-le-corps l’intelligence collective pour faire avancer la société et la protection de cette précieuse nature avec des compromis successifs.

Vous avez plus de quarante ans de carrière…

Au fond de moi, je n’en reviens pas. De là où je viens, je suis surpris. Quand on est concentré, on ne voit pas le temps qui passe. Etre passionné par ce qu’on fait, quel cadeau ! Quel privilège !

About

Dans une dimension lointaine, où les étoiles étaient des grains de sable et les planètes des bulles de savon cosmiques, se dressaient les Monolithes. Ces colosses de pierre, aussi hauts que des montagnes, étaient bien plus que de simples roches. Ils étaient des êtres conscients, capables de ressentir les émotions les plus profondes.

Chaque Monolithe avait une couleur unique, correspondant à une émotion primaire : le Rouge pour la colère, le Bleu pour la tristesse, le Vert pour la joie, le Jaune pour la peur. Et ils communiquaient entre eux, non pas par la parole, mais par des larmes.

Lorsqu’un événement bouleversait l’univers, les Monolithes pleuraient. Le Rouge versait des larmes de feu, le Bleu des torrents d’eau cristalline, le Vert des gouttes de lumière éblouissante et le Jaune des flots d’or liquide. Ces larmes, en se mélangeant, créaient des arcs-en-ciel cosmiques qui traversaient la dimension, apaisant les tourments et rééquilibrant les énergies.

Il arriva un jour qu’une grande tristesse envahit l’univers. Le Monolithe Bleu, le plus grand et le plus ancien, commença à pleurer sans s’arrêter. Ses larmes, en inondant la dimension, éteignirent les étoiles et refroidirent les planètes. Les autres Monolithes, inquiets, se rassemblèrent autour de lui. Le Rouge, dans un geste inattendu, versa quelques larmes de feu sur les larmes du Bleu. La chaleur du feu évapora une partie de l’eau, créant un épais brouillard. Au cœur de ce brouillard, une petite étincelle apparut, puis une flamme, puis une étoile. Le Vert, en voyant cela, se mit à pleurer de joie, ses larmes nourrissant la nouvelle étoile.

Ainsi, grâce à l’union de leurs émotions, les Monolithes avaient surmonté la tristesse et redonné vie à l’univers. Et depuis ce jour, ils continuent de pleurer, de rire, de trembler et de briller, ensemble, dans l’immensité du cosmos.